De passage à Paris le 7 avril dernier, Danis Tanovic et Srdjan Dizdarevic ont été les invités d’une conférence intitulée « la Bosnie-Herzégovine et l’Europe ». Une occasion pour évoquer la situation dans le pays et son avenir dans l’UE mais aussi pour présenter le nouveau parti politique Naša Stranka (Notre parti), dont les invités sont respectivement fondateur et membre. Un parti décrit ici comme « transnational », donc bosnien, dont l’objectif prioritaire serait de reconstruire une Bosnie-Herzégovine citoyenne.
Dans une petite salle comble du respectable Centre d’études et de recherche internationales (CERI) et devant un public plutôt éclairé sur la très complexe situation en BH, l’ancien président du Comité Helsinki pour les droits de l’Homme, Srdjan Dizdarevic a d’abord dressé un état des lieux, plutôt sombre, du pays.
Etat des lieux sombre
Corruption, rhétorique nationaliste, satanisation de l’autre, une bureaucratie gigantesque… « La Bosnie-Herzégovine est le dernier wagon du train pour l’UE qui marche sur place n’ayant rien fait dans l’expression de la volonté de coopérer », commente M. Dizdarevic en ajoutant très justement que « les citoyens de BH sont pourtant largement favorables à l’entrée dans l’UE, pour environ 80% d’entre eux, les trois ethnies comprises.
L’image de l’économie bosnienne n’est pas plus réjouissante : « la BH n’est qu’à 60% de son développement d’avant-guerre ». Sans oublier la présence de plusieurs codes pénales différentes, plusieurs politiques sociales, plusieurs systèmes de santé… conséquence directe de ce que le politologue Jacques Rupnik, qui animait la conférence, a appelé la « paix par la séparation ». « Si vous vivez à Trebinje en Republika Srpska, il vous est impossible de vous soigner à l’hôpital de Mostar, à quelques dizaines de km de là, mais situé dans l’entité de la Fédération bosno-croate. Vous êtes alors obligé de parcourir 450 km pour aller à Banja Luka », ironise-t-il.
« Plus de 50% des gens ne votent pas en BH car ils ne savent plus pour qui voter. Plus de 60% des jeunes veulent quitter le pays », explique Danis Tanovic. Le plus célèbre des réalisateurs bosniens à l’international, il est l’un des emblèmes de la réussite pour les jeunes Bosniens depuis qu’il a obtenu l’Oskar du Meilleur film étranger pour son film « No man’s land ». Pour casser « l’apathie ambiante » du peuple et tenter de débloquer la crise politique en BH, il a fondé Nasa Stranka, réuni autour de lui de jeunes Bosniens brillants comme Bojan Bajic, l’actuel président, se fixant comme but de devenir une sérieuse alternative au concept des nationalistes d’une Bosnie-Herzégovine structurée sur le principe ethnique. Un système qui empêche l’émergence d’un pouvoir central fort.
Les prochaines élections générales, en octobre 2010, sont selon Danis Tanovic un grand espoir de changements d’autant plus que c’est aussi un moment idéal pour faire la pression sur les élites politiques de changer les lois électorales, discriminantes envers les Autres, une catégorie de la population de BH créée par Dayton et dans laquelle on a pêle-mêle jeté toutes les minorités : Roms, Juifs, Albannais, Bosniens…
Un discours superficiel
Pour Nasa Stranka, qui compte se présenter dans ces élections cruciales, l’enjeu est de taille. Mais est-il à la hauteur de ses ambitions, prêt à proposer aux citoyens un réel changement ? Le discours de base est bien rodé et plaît, aussi bien à ceux qui aiment se déclarer Bosnien qu’aux Européens, malgré la timidité de leur soutien officiel.
Quelques exemples.
Disposant de peu de moyens pour organiser une campagne électorale, « le système actuel ne favorisant pas l’émergence de nouveaux partis politiques », Nasa Stranka ne proposera qu’un maillage partiel du territoire national en terme de candidats.
A l’étranger, auprès de la diaspora, c’est carrément l’absence. Les deux personnalités n’ont annoncé leur venue à Paris à aucune association de la diaspora bosnienne en France, ce qui témoigne finalement du peu d’intérêt de Nasa Stranka de nouer des contacts avec. Pendant le débat, le parti n’a pas tenu important non plus d’évoquer la question de l’organisation du vote de la diaspora à l’étranger. . Le programme électoral du parti, quant à lui, est déjà prêt dans 6 domaines : agriculture, investissement, industrie, santé, culture, politique sociale. Pourtant, aucun des deux membres les mieux placés du parti ne s’est montré capable de donner plus d’explications sur les propositions en matière d’économie. « Je suis un réalisateur, pas un économiste ! A ceux que cela intéresse, on peut envoyer notre programme par mail », lança Danis Tanovic, laissant perplexe plus d’un dans la salle ! Etonnante réplique de celui qui prône « un discours politique reposant sur les projets et non pas sur la compétition entre les candidats ».
Un parti bosnien qui n’assume pas sa « bosnieneté »
Le plus étonnant est cependant dans le fait qu’un parti qui se proclame « transnational » n’utilise jamais le terme « bosnien » dans son discours, mais parle toujours des Bosniaques, Serbes, Croates… Certes, la Constitution de BH ne mentionne pas les Bosniens non plus mais est-ce bien une référence, cette constitution faite, après tout, en quelques semaines sur une base aérienne. La seule au monde qui ne parle jamais de l’ensemble de ses citoyens mais seulement de ses ethnies ! Et puis, ne s’attendait-on pas d’un parti comme Nasa Stranka de faire justement la promotion d’un système complètement rénové, un système citoyen, bosnien !
Enfin, le dernier point et non le moins important, c’est celui qui concerne l’image très négative de la BH à l’international que Nasa Stranka n’a fait que conforter. Un discours très noir, où les sujets prédominants restent la guerre, la haine, la corruption, le nationalisme, la discrimination, les musulmans, les criminels… Personne ne nie cette réalité ! Mais pourrait-on, ne serait-ce que de temps en temps, profiter de la présence des journalistes et des intellectuels éminents pour évoquer aussi les questions du potentiel, des ressources humaines et naturelles, de l’humanité et la générosité du pays, des progrès réalisés, des entreprises qui réussissent, de l’attractivité du pays… Car cette réalité là existe aussi et n’est pas à nier non plus si on veut attirer des investissements et contribuer à l’amélioration de la situation.
Les intentions de la nouvelle formation politique de faire de Bosnie-Herzégovine un « pays normal » sont peut-être sincères mais sa jeunesse reste très palpable, ce qui n’inspire – pour le moment – que peu confiance !
Alors les élections d’octobre 2010… De l’usure des anciens ou de l’inexpérience des nouveaux, quel mal est le moindre ?