La corruption, omniprésente, est le problème numéro un en Bosnie-Herzégovine, devant le nationalisme. Selon le classement 2016 de l’ONG Transparency International, 82% des Bosniens ne se fient pas aux efforts de leur gouvernement pour s’attaquer à ce fléau dévastateur qui pourrit le quotidien des citoyens, paralyse l’économie et freine la future adhésion du pays à l’Union Européenne.
Ce n’est plus un secret pour personne, la corruption est omniprésente dans tous les segments de la société et tous les secteurs d’activité en Bosnie-Herzégovine. Il faut compter avec au quotidien, chez le médecin, à l’université, avec un officier de police ou pour accéder à un emploi dans l’administration. C’est le cas pour la moitié des salariés du secteur public. Plus aucune nomination ne se fait par mérite, peu importe les qualifications et l’expérience, sans piston, c’est sûr, vous n’irez pas très loin.
Bien que critiques envers le phénomène, les citoyens, pour 30% d’entre eux, font fréquemment recours à un pot de vin. C’est que la corruption est tellement ancrée qu’on ne la perçoit même plus comme telle. On dénonce peu ces pratiques, par peur de répercussions, c’est déjà vu dans le cas de plusieurs lanceurs d’alertes, mais aussi car il existe une certaine apathie des citoyens face à la corruption.
Si la petite corruption n’en finit plus de pourrir le quotidien des citoyens, c’est une corruption politique de haut niveau qui est le vrai problème paralysant l’économie et gangrénant le progrès du pays entier.
Des centaines de millions d’euros sont chaque année liés à ce type de corruption, partie intégrante de tous les projets de privatisation, les chantiers d’infrastructure. Les partis politiques contrôlent également des territoires entiers au niveau des terrains et de l’immobilier.
Le secteur des marchés publics est en effet le plus touché. En s’arrangeant pour contourner les procédures transparentes d’appels d’offres au profit des négociations directes qui autorisent des commissions, environ 250 millions d’euros seraient blanchis chaque année.Manifestations contre la
Levier important du financement des partis politiques, la corruption liée à l’attribution des marchés publics est presque intouchable malgré les efforts déployés par l’Agence d’Etat d’investigation et de protection (SIPA), une sorte de FBI local créé en 2003 pour enquêter sur le crime organisé et les crimes de guerre. Sous l’impulsion de certains procureurs, plusieurs grosses affaires sont sorties et de nombreux dirigeants sont sous le soupçon d’enrichissement lié à l’abus de la fonction publique, y compris des dirigeants politiques de haut niveau comme Milorad Dodik, président de l’entité serbe de Bosnie. Mais après quelques jours de médiatisation, la plupart des affaires finissent en croupissant des années durant dans les tiroirs des procureurs. Ils sont au mieux jugés à des peines de prison avec sursis et des amendes ridicules.
L’efficacité de la justice dans la lutte contre la corruption est un fait. Les procureurs, conscients des enjeux énormes, n’osent pas mettre en accusation des ministres, et quand ils le font, ils sont sur la sellette des puissants qui ont des appuis politiques, économiques, judiciaires et médiatiques. Milorad Dodik est ainsi en guerre ouverte avec les institutions judiciaires de l’Etat central, demandant la dissolution du parquet et de la Cour d’Etat et le départ des juges internationaux qui assistent la justice bosnienne.
Dans le cadre des réformes exigées par l’Union Européenne, les autorités bosniennes ont pris l’engagement de réduire l’immense et inefficace administration. Quant à la lutte contre la corruption, le chemin est encore très long et risque de compromettre l’avancement du pays vers l’adhésion à l’Union Européenne.
Le manque de volonté politique dans ce domaine est évident. Les cercles politiques au pouvoir, qui ont mis vingt ans pour parfaire les mécanismes d’abus, ne sont pas prêts à réformer et à abolir ces pratiques, contrairement à leur discours officiel. En terme de réformes anti-corruption, aucun progrès n’a été réalisé. En revanche, on a adopté des dérogations à la loi anti-corruption et la suspension pure et simple de l’application de la loi dans le domaine des conflits d’intérêt. Concernant la nouvelle loi sur les marchés publics, elle n’a pas été assez loin et les services chargés de son application ne disposent pas de capacités suffisantes.
Le système de gouvernance en Bosnie-Herzégovine est particulièrement propice à la corruption, dû à la structure ultra complexe de l’Etat, établie suite à l’accord de Dayton. Trois parlements, près de mille députés, 167 ministres, 13 ministères de l’Intérieur pour un pays qui compte 3,5 millions d’habitants… cette hyper segmentation et le morcellement du pays sont la clef du problème rendant plus facile la corruption.
Autre phénomène qui va en faveur de la corruption, c’est le nationalisme. Diviser pour mieux régner, toute la stabilité politique est précisément construite sur cette base. Dans un pays ravagé par une guerre entre les Serbes, les Croates et les Bosniaques dans les années 1990, la classe dirigeante corrompue joue à fond la carte des nationalismes et des religions. S’il veut accéder à un emploi public, chaque habitant est obligé de choisir son camp politique et de se plier aux règles des partis nationalistes au pouvoir. Plus besoin de parler des routes, de la propreté des rues, du chômage, ou de l’approvisionnement en eau et en électricité, la haine de l’autre est un alibi parfait pour détourner l’attention des citoyens des énormes problèmes sociaux et économiques et surtout continuer à piller le pays sans entrave.
Résultat, vingt ans après la guerre, les relations interethniques en Bosnie sont toujours très mauvaises. Tous s’accordent à dire désormais que le problème numéro un en Bosnie n’est pas le nationalisme mais la corruption.
Prétendante au statut du candidat à l’adhésion à l’Union Européenne, la Bosnie-Herzégovine doit désormais engager des réformes en profondeur.
S’attaquera-t-elle enfin à la corruption ? Rompra-t-elle enfin les liens entre le crime, l’économie, le judiciaire et la politique ? Luttera-t-elle enfin pour éradiquer l’indifférence de la caste au pouvoir ? Sera-t-elle prête à changer son système si favorable à la corruption ?
Le chantier paraît énorme. Selon toute probabilité, rien ne changera.